Dans le scriptorium, Paul Auster (2008)
À retrouver chez ACTES SUD


Plongez dans le scriptorium, ce mot évocateur d’une tradition perdue, rappelant les moines copistes laborieusement en train de transcrire le savoir ancien. Tel un scribe des temps modernes, Paul Auster déploie son récit labyrinthique dans Dans le scriptorium, où chaque mot devient une lettre ornée, chaque phrase une énigme à déchiffrer. Mr Blank notre narrateur, se retrouve captif dans une chambre anonyme, aux murs aveugles, sous l’œil vigilant d’un appareil photographique enregistrant ses moindres mouvements.

« Nous sommes embarqués dans une histoire compliquée, et tout n’est pas nécessairement ce qu’on pourrait croire. »

Au réveil, Mr Blank est confronté à une amnésie sélective, son esprit habité par des visions d’horreur dès qu’il ferme les yeux. Un mystérieux coup de fil d’un prétendu policier, la découverte d’un début de roman intitulé Neverland, et des photos éparpillées sur un bureau à proximité ajoutent à l’énigme. Le visiteur inattendu, une femme nommée Anna, semble détenir les clés de son passé, créant un lien nébuleux entre eux.

Tout au long de cette journée, au gré des rencontres et des découvertes littéraires, Mr. Blank tente de démêler les fils de sa captivité et de comprendre pourquoi le blanc de l’amnésie a envahi sa mémoire. Paul Auster orchestre ce drame psychologique avec une maestria troublante, utilisant la confusion de Mr. Blank comme une toile sur laquelle il projette les ombres de l’existence.

« Nous vivons une époque dangereuse et je sais avec quelle facilité les perceptions peuvent être déformées par un seul mot glissé dans la mauvaise oreille. Contestez le caractère d’un homme et tout ce que fera cet homme en deviendra douteux, suspect, lourd de motivations ambiguës. Dans mon cas, les fautes en question résultaient de la souffrance, non de la méchanceté ; du désarroi, non de la ruse… »

Les thèmes d’identité, de mémoire, et de création littéraire se mêlent dans une symphonie déroutante. Auster, tel un alchimiste, transforme chaque élément narratif en un ingrédient complexe, ajoutant à l’atmosphère de perplexité. Le scriptorium devient le lieu où les souvenirs et les mots s’entremêlent, créant un tableau de désillusion et de quête existentielle.

« Quand cette absurdité prendra-t-elle fin ? Elle ne prendra jamais fin. Car M. Blank est l’un d’entre nous désormais… Sans lui, nous ne sommes rien, et le paradoxe, c’est que nous, les chimères d’un cerveau qui nous a fabriqués, car une fois lancés dans le monde, nous continuons à exister à jamais et on continue à raconter nos histoires, même après notre mort. »

Ce roman, loin d’offrir des réponses faciles, embarque le lecteur dans une expérience délibérément déroutante, où la vérité est aussi changeante que les ombres dans une pièce sombre. Dans l’œuvre d’Auster, le doute devient une force motrice, et chaque page est une énigme à déchiffrer dans ce scriptorium de l’âme humaine. Nous y croisons des personnages d’autres bouquins de Paul Auster, certains vous diront donc avec une certaine facilité de ne pas commencer par celui-ci pour ne pas rater les clins d’œil ; peu importe de les retrouver maintenant ou par la suite en étoffant vos lectures de cet auteur, le résultat sera sensiblement identique.