Willard et ses trophées de Bowling, de Richard Brautigan (1975)
Christian Bourgois éditeur


J’écoute Bookmakers, le podcast d’Arte dédié à l’écriture. On y croise des écrivains de tous horizons et ils parlent simplement de leur rapport à l’écriture qui peut s’avérer finalement parfois complexe. À défaut de terminer mon putain de manuscrit, j’écoute ceux qui y sont parvenus, dans l’espoir que. Bref. Philippe Jaenada, dont j’avais déjà entendu le nom quelque part, mais résolument jamais lu, parle vrai. Étonnant, il a commencé dans la vie, ou plutôt à la gagner en se faisant passer pour une fille sur « des sites de cul sur minitel ». Et donc, un jour, on lui passe un petit bouquin de Richard Brautigan, Willard et ses trophées de bowling. « Moi, ça, plus que Boris Vian, ça a bouleversé ma vie […] et je me suis dit, pourquoi je ne pourrais pas faire ça moi ?« .

En écoutant l’extrait du bouquin proposé dans l’émission, ça m’a parlé. Quelque chose a raisonné, alors j’ai pris un post-it et j’ai écrit de façon approximative quelque chose comme « Hervé Villard fait du bowling de Richard Brodigane« . Le post-it est resté là un moment. Il n’est pas ordinaire car il est bleu. Quand je matérialise la trame de mon bouquin sur mon tableau blanc, le bleu sert pour les scènes ayant lieu dans le passé, j’appelle ça les scènes froides car éteintes. Ce sont mes « cold case » (sans Lilly Rush), même si elles ne sont jamais vraiment classées. Vous vous en foutez. D’accord, reprenons.

Je me décide à me commander le fameux livre de Brautigan. Un bel objet d’ailleurs, qui donne envie d’être ouvert. Et là, je me retrouve en compagnie d’un couple tout à fait charmant ; expérimentant les plaisirs du bondage pour mieux oublier les verrues se développant dans l’urètre de monsieur. 

Dès que les verrues firent leur vaginale apparition chez Constance, Bob s’empressa d’en vérifier l’existence chez lui : pour découvrir que non, il n’avait pas de verrues sur la queue. C’est en effet lors des rapports que s’attrape le virus qui fait proliférer le papillome verruqueux : ceci étant dit, seul un petit nombre de gens entrant en contact avec le dit virus s’en trouve contaminé. Ce qui explique que certaines personnes se trimballent avec le virus – mais pas les verrues – alors que d’autres en entrant en contact avec lui (le virus) ne les chopent pas (les verrues).

À l’étage du dessous, Willard, un drôle d’oiseau, veille sur ses trophées de bowling. Pour dire vrai, ce ne sont pas les siens, mais ceux des Logan Brothers. Trois frères, que l’on se représente bien en mode Dalton. Ils sont la fierté de leur ville, les champions de bowling du coin. Un père mécanicien qui aimerait plutôt être mécanicien à plein temps que père d’ailleurs. Et un jour, le drame s’abat sur les Logan Brothers, un cambriolage et plus un seul trophée de bowling dans la monumentale étagère dédiée à cet effet. Il ne manque que les trophées. 

Willard était un oiseau en papier mâché d’environ un mètre de haut, avec de longues pattes noires et un corps en partie noir lui aussi, et recouvert d’un étrange motif bleu, blanc et rouge, comme on n’en avait jamais vu encore, le tout surmonté d’un bec aussi exotique que celui d’une cigogne. Et ses tro phées de bowling? Volés. Évidemment.

C’est la grande dépression pour les trois frères qui partent en vrille et quittent leur bourgade pour rechercher, au hasard des routes, leurs trophées. Au fil de leur quête, ils s’affranchissent de tout et deviennent des caricatures d’eux même. Il y a celui qui attend le coup de téléphone, celui qui lit des bandes dessinées et celui qui ne fait plus que boire des bières. Et ce passage dans le motel demeure mon favori.

Le Logan Brother qui faisait dans la lecture de bandes dessinées la reposa sur le lit à côté de lui. Puis il s’absorba dans la contemplation de la couverture. Le héros qui l’ornait avait l’air aussi ténébreux qu’un petit-beurre rance.

Le Logan Brother qui s’adonnait à la bière termina celle qu’il avait entamée, et en commença une autre. Il aimait beaucoup sentir le froid de la canette dans sa main. C’était, au bout de ces trois années passées chercher les trophées de bowling qu’on leur avait à volés, un des rares plaisirs qu’il lui restait.

Le Logan arpenteur, lui, continuait de faire les cent pas dans la pièce minuscule. Il avait un revolver à la main. Il ne cessait d’en ouvrir et fermer le baril let chargé, et d’en contempler les balles. Il avait hâte de s’en servir. Il voulait tuer les gens qui lui avaient piqué ses trophées de bowling bien-aimés.

Richard Brautigan, auteur de la fameuse Beat Generation (avec William Burroughs, Allen Ginsberg et Jack Kerouac pour ne citer qu’eux) a un don inné pour nous entraîner dans cette intrigue à la fois loufoque et désespérément triste, tellement les différents protagonistes touchent le fond. On se retrouve dans ce que j’appellerai un drame humoristique. Les chapitres sont courts et se terminent toujours avec un éclat de génie donnant non seulement le sourire et empêchant de lâcher le bouquin jusqu’au dernier acte. Une fin à l’image de l’ensemble de l’intrigue, où l’on marche méchamment sur la tête. Une chose est certaine, je viens de découvrir un auteur dont je vais dévorer la prose mais aussi la poésie puisque Richard Brautigan se définissait lui-même avant tout comme un poète. 

Mais dis moi Richard, Pourquoi les poètes inconnus restent inconnus ?