Martin Eden, Jack London.
_ éditions Libretto

À la lecture de Martin Eden, je n’ai pu m’empêcher d’avoir en tête d’autres bouquins analogues. John Fante et les aventures d’Arturo Bandini débutées en 1938 (4 volets) ou encore Bukoswki et son Factotum en 1975, et son œuvre au sens large me semblent être dans la lignée de Jack London. Je te vois qui tire une tronche de vieille pie catho à la sortie de la messe. Non, ne te méprends pas. Je sais bien que le style n’est pas le même et que tu penses certainement que Jack London est un bien meilleur auteur que ses successeurs. Tout est relatif. Rien n’est objectif. La différence de tonalité est flagrante, mais ils se rejoignent sur une trame : un mec misérable qui rêve de devenir écrivain et fait tout, pour ne pas dire n’importe quoi, afin d’y arriver. Allant jusqu’à s’oublier lui-même. Une trame où l’autobiographie et le romanesque se retrouvent étranglés par des frontières volubiles.

Pour être honnête, ce billet (qui vous ennuie déjà) n’a failli pas voir le jour. Pour la simple et bonne raison, que j’ai cru ne jamais réussir à digérer les cent première pages. Des descriptions poussives à n’en plus finir, un style ampoulé m’ont énormément rebuté. Oui, comme Claude François, je ne suis pas fan de tout ce qui est ampoulé. La première partie du bouquin ne nous offre pas grand-chose au-delà de ça. Il est difficile d’y trouver ses marques. Tout comme Martin peine à trouver les siennes quand il se retrouve à quai et rencontre l’intrigante Ruth et sa riche famille.

Elle ne pouvait s’empêcher de comparer les professeurs – délicats, doctes, bien habillés, parlant d’une voix modulée, respirant la culture la plus raffinée – avec cet indescriptible jeune homme, qu’elle aimait pourtant, toujours un peu débraillé, dont les gros muscles révélaient le passé vulgaire et qui s’excitait en parlant, exagérait tout et s’emballait à la moindre contradiction. Et puis eux, au moins, gagnaient largement leur vie, tandis que lui n’était pas capable de gagner un penny. Elle ne jugeait pas les arguments de Martin d’après ses paroles. Elle estimait simplement – inconsciemment, il est vrai – que ses arguments étaient faux. Les professeurs avaient raison, parce qu’ils avaient réussi. Martin avait tort parce qu’il échouait.

C’est intéressant, à un moment donné, Martin Eden met en place des trames basiques comme il les analyse chez ses contemporains afin de réussir à vendre ses bouquins, et c’est à s’y méprendre ce que l’on retrouve ici. Un jeune homme qui rencontre une femme qu’il n’aurait jamais dû rencontrer en tombe éperdument amoureux. Prêt à tout pour les conquérir, elle et sa famille, il va se travestir en quelqu’un qu’il n’a jamais été et ne sera finalement jamais. Sauf que ça ne se finit heureusement ou malheureusement pas comme l’on pourrait s’y attendre, car Martin n’a jamais été à sa place, ni sur terre, ni sur mer. C’est le mouvement perpétuel qui l’a maintenu en équilibre.

Puis il eut l’impression de tomber dans un vaste escalier sans fin. Tout en bas, c’était les ténèbres. Cela il le savait. Il sombrait dans les ténèbres. Et, au moment où il le sut, il cessa de le savoir.

Je ne vais pas plus entrer dans les détails du roman et je regrette que Jack London n’ait pas plus poussé certaines réflexions et que des personnages soient vidés de leur substance sur quelques dizaines de pages après tout ce temps perdu à l’ouverture. Au travers des pérégrinations de Martin, nous effleurons beaucoup de choses : politique, philosophie, biologie et un marasme de sentiments intérieurs. Et comme le fait Martin Eden, nous ne faisons que survoler tout cela pour en faire un vague schéma de pensée. Et l’on s’y perd un peu. Cet homme n’a pas de fil conducteur, pas de guidelines comme le diraient mes amis bobos parisiens.

Ce que nous retiendrons, c’est que Martin Eden, bien qu’ayant passé une partie de sa jeune vie en mer se fera bien submerger au-dessus de son niveau, les pieds sur un sol meuble et affamé à la fois entre espoir et décalage avec ce qu’il est intrinsèquement et la passion à laquelle il est confronté.

Tout peut s’en aller à vau-l’eau dans ce monde, sauf l’amour. L’amour ne peut pas faiblir. S’il trébuche en chemin et s’effondre comme une chiffe, c’est que ce n’était pas de l’amour.

Ce livre est un chef-d’oeuvre.


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