Un soir au club, Christian Gailly (2001)
À retrouver chez ÉDITIONS DE MINUIT
Prix du Livre Inter 2002


Dans « Un soir au club », on découvre une tranche de la vie de Simon Nardis. Cet homme, autrefois pianiste de jazz, a fait défection pour Suzanne, sa femme, sacrifiant ses brillantes mains de musicien. La raison ? Le jazz, selon lui, ne favorise pas une conduite exemplaire, et une nuit, il aurait pu perdre la vie s’il n’avait pas été secouru par celle qui deviendra son épouse. Contraint de fermer le couvercle sur sa passion, il a embrassé une carrière de réparateur de chauffages industriels et s’est tourné vers la musique classique pour enterrer ses anciennes mélodies. Cependant, le jazz n’a pas oublié Simon Nardis. Une décennie plus tard, par pur hasard, cette musique envoûtante le rattrape dans un club. Les touches du piano reprennent vie sous ses doigts, offrant une seconde chance à Nardis, dont la vie bascule à nouveau dans des soubresauts loin de lui être étrangers.

« C’est quand même autre chose, l’air qu’on respire dans une zone industrielle au bord de la mer. »

Première plongée dans l’univers de cet auteur, et c’est comme si j’avais atterri dans un club de jazz underground. Des phrases ciselées, des assonances tranchantes, le tout réglé au métronome de l’écriture. Christian Gailly, c’est le DJ du langage, mixant les mots comme des samples dans une symphonie urbaine. Un bon roman, selon ma vision un peu étriquée, doit te secouer, te faire cogiter autant qu’il te fait tourner les pages. Avec Gailly, c’est un numéro d’équilibriste entre cynisme et lyrisme. Ses mots, incisifs comme des riffs de guitare, sont une bande-son ironique d’une vie qui se déroule comme un vinyle rayé dans un club décadent.

« Après sa désertion, il reprit son ancien métier. Le prétexte était de se nourrir. Se loger, se blanchir. Au sens de blanchiment. Il s’agissait surtout de bien se tenir. Le jazz n’incite guère à bien se tenir. Simon Nardis était pianiste de jazz. »

La magie de l’auteur, c’est cette écriture qui fusionne mots et émotions, comme un solo de saxophone qui te transporte ailleurs. C’est une partition où chaque phrase est une improvisation de génie, créant un ensemble discordant, te laissant perplexe comme après une nuit trop arrosée. J’ai de l’expérience en la matière. Ces quelques jours dans la vie de Simon Nardis se déconstruisent, se distordent, se détournent. Ma première fois avec Chrisian Gailly, c’est l’entrée dans un club clandestin où la littérature devient une expérience à la fois brutale et magnétiquement musicale.

« La vodka circulait dans son cerveau. La vodka faisait fonctionner son cerveau. Son cerveau fonctionnait comme il n’avait pas fonctionné depuis au moins dix ans. Pas mieux ni plus mal, autrement. Plus librement peut-être. Son coeur aussi battait différemment. Il soupira, frissonna puis se mit à trembler. Sa décision était prise. Il sut qu’il allait y aller, y toucher à ce piano, s’en emparer. »

Le gars, il ne se contente pas de raconter une histoire, il la joue.