Reste, Adeline Dieudonné (2023)
À retrouver chez L’ICONOCLASTE


Elle pouvait me laisser voguer tranquillement dans les eaux mornes de ce lac de montagne. Elle pouvait continuer à m’attendre, et ce, sans jamais me voir revenir. Tout à une fin. Je n’avais pas vraiment prévu ça pour ces quelques jours dans notre chalet, à l’abri du monde. Mais visiblement pas à l’abri de la mort. Elle est venue me chercher, elle n’aimait pourtant pas tellement se baigner. Elle préférait nettement les beignets. C’est pourtant moi qui commençais à attraper quelques bourrelets. Elles sont passées vite ces huit années. Elle me sort la tête de l’eau comme elle me la sortait fréquemment du quotidien. C’est trop tard, désormais, on fera lit à part. Elle me traîne, elle m’entraîne pour mon dernier voyage. Sur la banquette arrière, le paysage m’éclaire.


Comme vous pouvez le lire, ce bouquin m’a inspiré. Lorsque j’ai entendu parler de celui-ci, je me suis dit « bah dis-donc, c’est sacrément couillu comme pitch ». Déjà, l’idée de départ est une fin. La fin d’un amour interdit comme on dit. Lors d’un séjour paisible en bordure d’un lac de montagne, S. ne voit pas son amant M. revenir de sa nage matinale. Lorsqu’elle le retrouve, il flotte sans vie dans les eaux du lac. Face à la situation, S. décide de garder encore un peu auprès d’elle la dépouille de M., allant jusqu’à l’emmener dans un désespéré road trip.

« Vous écrire me réconforte un peu. J’ai quitté la chambre, allumé un feu, mis de la musique. Nick Cave. Sa voix va bien avec le décor, le lac, les nuages fades. Mon gilet en laine trop grand, le crépitement du feu, le sol en pierres du pays. Tout sied. Un vrai cliché, on dirait une pub pour, pour je sais pas quoi, pour un truc que j’emmerde. Fait chier. Je me ressers un verre de vin. »

Adeline Dieudonné nous entraîne dans un texte qui bouscule les conventions, où chaque mot est une nuance, porté par une plume épurée, mais qui, par moments, nous plonge dans la froide réalité de la vie ou plutôt de la mort. Ce roman est surtout une expérience, tant par son synopsis que par son côté Confession d’une amante en détresse. Encore une idée déroutante : la narratrice (S.) écrit à la femme de son amant (M.) pour se livrer et justifier son choix de rester encore quelques jours avec son corps sans vie. Le format épistolaire vient donc justifier un long monologue intérieur. La narratrice, avec une franchise désarmante, examine sa vie, dissèque ses échecs, et expose les visages des hommes qui ont traversé son chemin. Elle n’élude aucun détail, évoquant même un viol qui a laissé des cicatrices profondes en elle. C’est un témoignage cru, sans fard, une plongée dans l’obscurité des expériences humaines.

« Je lui murmure que, d’une certaine façon, il a de la chance. Il ne connaîtra pas cette peur humide qu’on lit dans le regard des vieux. Il n’entendra jamais la voix terne du médecin : « la biopsie n’est pas bonne ». Il n’assistera plus aux funérailles d’aucun ami, ni à celles de sa mère. Il ne sentira pas fondre ses muscles, ses os devenir aussi fragiles que du bois sec, ses articulations se raidir. Il ne verra plus le monde brûler, l’avenir de son fils s’assombrir. »

Au cœur de ce branle-bas de combat émotionnel, la narratrice partage également sa vision positive du fait d’entretenir une liaison avec un homme marié. Cette décision, bien loin des sentiers balisés de la morale conventionnelle, est ancrée dans le besoin impérieux d’un espace qui lui permette de s’émanciper. C’est en quelque sorte un acte de rébellion contre les normes étouffantes de la société, une tentative de trouver son propre chemin malgré les contraintes imposées.

« J’avais entendu dire que ça skiait encore tout là-haut, à grand renfort de canons à neige. Je n’ai jamais bien compris ce goût de s’entasser dans des bennes à humains pour aller se déchirer les ligaments croisés entre la raclette et le vin chaud. Peut-être que je rate quelque chose. »

Ce récit n’est pas simplement une juxtaposition d’événements, mais une exploration profonde de la psyché humaine. Chaque page nourrit un voyage intérieur, une quête d’authenticité au travers des méandres de la souffrance et de la résilience. Reste offre donc une expérience immersive où la simplicité des mots contraste nettement avec la profondeur des émotions, invitant le lecteur à plonger dans cette exploration bouleversante de la psyché humaine.