Né d’aucune femme – Franck Bouysse (2019)
À retrouver chez La Manufacture de livres


Dans Né d’aucune femme, Franck Bouysse nous plonge dans l’atmosphère âpre et impitoyable des Cévennes du XIXe siècle. Au cœur de ce paysage rugueux, nous rencontrons Rose, une jeune fille marquée par le destin dès sa naissance. Vendue par son père à un notable local en échange d’une bourse maudite, elle devient l’objet d’un esclavage effroyable, soumise à la tyrannie d’un couple mère-fils machiavélique.

« On était quatre filles, nées à un an d’écart. J’étais l’aînée. Les filles ne valent pas grand chose pour des paysans, en tout cas, pas ce que des parents attendent pour faire marcher une ferme, vu qu’il faut des bras et entre les jambes de quoi donner son nom au temps qui passe, et moi et mes sœurs, on n’a jamais rien eu de ce genre entre nos jambes. »

L’histoire se déroule dans une atmosphère sombre et oppressante, où la cruauté et la violence règnent en maîtres. Rose, confrontée à l’horreur de son existence, lutte pour préserver sa dignité et son humanité face aux pires atrocités. Son journal intime, confié à un prêtre troublé par une confidente anonyme, révèle les tourments de son âme et les souffrances inimaginables qu’elle endure.

Malgré quelques premières pages où j’ai eu du mal à accrocher au bouquin, j’ai bien fait de poursuivre. Car au fur et à mesure que l’intrigue se déploie, une sensation écrasante s’installe, comme si à tout moment le ciel allait nous tomber sur le coin de la gueule, créant un sentiment de malaise palpable. Au fil des pages, Franck Bouysse dévoile les dessous sordides de cette tragédie humaine, explorant les méandres de la condition féminine et les abîmes de la cruauté humaine. Les personnages, tous marqués par leurs propres démons, évoluent dans un univers où la morale et la compassion semblent avoir disparu.

« Jamais j’oublierai cette nuit et le rêve dedans. Je me suis vue rêvant le rêve, comme si j’étais devenue le rêve lui-même, un rêve vide de rêve, un vide préférable à la vraie vie sur terre, avec l’espoir d’y trouver quelqu’un qui viendrait à mon secours en m’empêchant de le quitter pour toujours. »

Pourtant, au-delà de la noirceur de son sujet, Né d’aucune femme offre également des moments de lumière et d’humanité, portés par la résilience et le courage de son héroïne. Malgré l’adversité, Rose refuse de se laisser briser, incarnant la force indomptable de l’esprit humain face à l’adversité.

« Ce sont des odeurs de printemps suspendues dans l’air frais du matin, des odeurs d’abord, toujours, des odeurs maculées de couleurs, en dégradé de vert, en anarchie florale confinant à l’explosion. Puis il y a les sons, les bruits, les cris, qui expriment, divulguent, agitent, déglinguent. Il y a du bleu dans le ciel et des ombres au sol, qui étirent la forêt et étendent l’horizon. Et ce n’est pas grand-chose, parce qu’il y a aussi tout ce qui ne peut se nommer, s’exprimer, sans risquer de laisser en route la substance d’une émotion, la grâce d’un sentiment. Les mots ne sont rien face à cela ils sont les habits de tous les jours, qui s’endimanchent parfois, afin de masquer la géographie profonde et intime des peaux ; les mots, une invention des hommes pour mesurer le monde. »

Ainsi, ce roman se révèle bien plus qu’un simple récit de souffrance et de désespoir. C’est une exploration profonde de la nature humaine, de ses contradictions et de sa capacité à trouver la lumière même dans les ténèbres les plus profondes. Franck Bouysse, par son écriture relevée et sa sensibilité acérée, nous offre un roman d’une rare puissance émotionnelle, une œuvre qui me hantera longtemps après sa lecture.

« J’ai appris que seules les questions importent, que les réponses ne sont que des certitudes mises à mal par le temps qui passe, que les questions sont du ressort de l’âme, et les réponses du ressort de la chair périssable. »