La fille – Tupelo Hassman (2014)
À retrouver chez CHRISTIAN BOURGOIS EDITEUR


« Je m’appelle Rory Dawn Hendrix, fille arriérée d’une fille arriérée, elle même produit d’une lignée d’arriérés. Bienvenue à la Calle. »

Il faut un véritable talent pour réussir à projeter le lecteur dans un trailer park. « La fille », premier roman percutant de Tupelo Hassman, nous plonge dans l’univers poignant de la Calle, un regroupement de mobile homes à l’extérieur de Reno, Nevada. L’histoire suit Rory Dawn Hendrix, – putain ça c’est du nom – une jeune fille au caractère bien trempé, qui grandit dans cet environnement rugueux et chaotique. Avec une écriture élégante et incisive, Hassman parvient à rendre presque poétique un décor souvent considéré comme un dépôt de pauvreté sableux. C’est comme le camping sans la piscine, sans animation, sans tournoi de pétanques même si les hommes ont tendance à jouer avec leurs boules de façon affligeante voire terrifiante.

« Mes frères sont comme tous les hommes dans la vie de maman, essentiellement des souvenirs, aussi flous que les cachets de la poste sur les rares cartes de Noël et de Fête des Mères envoyées de Sacramento, de Frisco ou de n’importe quelle ville suffisamment éloignée pour qu’ils soient à l’abri de ce que leur réservait le toit maternel. »

Rory Dawn, notre guide à travers les rues poussiéreuses de la Calle, est un personnage à la fois complexe et attachant. Nous la suivons de l’enfance à l’âge adulte. Son humour mordant et sa lucidité désarmante font d’elle une narratrice captivante. Ses observations sur les habitants du quartier, ses réflexions sur sa mère Johanna et sa grand-mère Shirley Rose, révèlent une profondeur émotionnelle et une sensibilité remarquable dès son plus jeune âge.

« Quand la totalité de ce qu’on a besoin de savoir lire pour se débrouiller dans la vie se limite aux textes des cartons d’emballage, aux fiches de recettes et aux notices de recouvrement, lire un livre d’un bout à l’autre paraît une sacrée perte de temps, surtout si, comme maman, on a des problèmes avec les lettres. »

L’intrigue n’est pas le point fort du roman, mais c’est le langage et la personnalité de Rory Dawn qui captivent. Son lien avec le manuel des Scouts, bien que parfois un peu artificiel, révèle les contradictions de son environnement et son désir de s’en échapper. Le récit explore également les thèmes de la résilience, de l’identité et de la famille, dans un contexte marqué par la pauvreté et la violence domestique. Une violence qui s’abat sur Rory Dawn dès son plus jeune âge. Pendant que sa mère travaille, elle est laissée avec l’Homme de la quincaillerie. Quand elle doit aller aux toilettes, il insiste pour l’aider. Ensuite, il éteint les lumières. Rory Dawn a 6 ans à ce moment-là.

« Je fais aussi semblant de ne jamais avoir besoin d’aller au petit coin. Moi, je n’ai pas besoin qu’on m’aide mais le Quincaillier insiste toujours pour m’aider. Et quand il m’aide, la lumière s’éteint. »

Les chapitres courts et vifs donnent un rythme dynamique au roman, tandis que les descriptions évocatrices nous plongent au cœur de la Calle. Les moments difficiles sont suggérés plutôt qu’explicites, ajoutant à l’impact émotionnel du récit. Malgré quelques faiblesses, notamment un recours parfois excessif à des dispositifs littéraires comme la lecture des rapports de l’assistante sociale ou des extraits du manuel des Scouts, « La fille » reste une lecture puissante, portée par une écriture incisive et des personnages saisissants. Tupelo Hassman nous offre un aperçu poignant de la vie dans la Calle, où la résilience et l’espoir se côtoient dans un univers chaotique.