Pertinax – L. Azarii
Autoédition
Je ne sais pas qui est L. Azarii mais toujours est-il que j’ai reçu une lettre étonnante. Déjà, un courrier à l’attention de Michel Houellebecq dans ma boite au lettre, ça me surprend… Lorsque j’ouvre celui-ci, je me retrouve en présence d’un bouquin de belle épaisseur me proposant la Bible en première de couverture. Merde. Voilà où ça mène de publier des billets sur Soif d’Amélie Nothomb et Vu du ciel de Christine Angot ; les auteurs vont se mettre à croire que je suis féru de récits autour de la religion. S’ils savaient… Au delà du bouquin, une carte postale en provenance de Baltimore proposant une photo de ce qui ressemble à une cellule, ainsi qu’un marque page avec un piaf dessus. Désolé, je n’y connais rien en ornithologie. Au verso, une citation : « Un bruit me sortit de ma torpeur. Un geai se dressait à ma fenêtre, malgré l’heure tardive. À l’une de ses pattes était attachée une missive. » En tout cas, on avance, le piaf est un geai. Un facteur geai. Il est peut-être temps de lire la quatrième de couverture.
Maryland, 1715. Une jeune fille de la colonie, Melody Walker, est accusée de sorcellerie et d’hérésie. Thomas Dutourd est payé par plusieurs confessions pour la défendre pendant ce qui s’avère être un simulacre de procès : à Baltimore, où la cohabitation entre catholiques et protestants est de plus en plus compliquée, ce procès contre une quaker est la goutte de trop pour les minorités religieuses qui craignent les retentissements de cette affaire sur leur vie quotidienne. Thomas doit réussir à nager dans ces eaux troubles, entre intérêts personnels et mensonges coupables, pour trouver des alliés et assurer la survie de sa cliente… peu importe son prix.
Dans quoi me suis-je embarqué ? Moi qui voyage très peu, j’ai l’opportunité de faire un saut dans le Maryland en l’An de Grâce 1715. Pour vous situer la chose, je ne suis qu’à deux heures de bagnole de la forêt de Burkittsville, où les protagonistes du projet Blair Witch se sont définitivement évaporés. Oui, je pourrais vous parler du Maryland, terre d’accueil des catholiques persécutés en Angleterre dès le XVIIème siècle ou me lancer dans une description hasardeusement poétique de ses eaux polluées ou de sa gastronomie régionale qui, étonnamment se symbolise par la soupe aux choux traditionnellement accompagnée de pommes de terre sautées. Allez, j’en profite. « La soupe aux choux mon Blaise ça parfume jusqu’au trognon, ça fait du bien partout où qu’elle passe dans les boyaux. Ça tient au corps, ça vous fait même des gentillesses dans la tête. Tu veux qu’t’y dise : ça rend meilleur. » (La Soupe aux choux (1981), écrit par René Fallet, Jean Halain).
Vous allez me dire que c’est un sacré dépaysement, je vous le confirme. Surtout que je ne suis pas friand des lectures s’inscrivant dans des périodes reculées de l’Histoire. J’ai toujours assimilé ce type d’ouvrage à quelque chose d’emmerdant. Tout simplement parce que j’ai beaucoup de mal à me retrouver dans un personnage ayant vécu quelques siècles avant moi. Bah ouais, moi, prendre une douche chaude ou avoir assez de bougies pour éclairer la maisonnée, ça me préoccupe pas tellement. Mais L. Azarii parvient à nous plonger dans un récit terriblement contemporain, j’y reviendrai.
Je rencontre Thomas Dutourd, le fait que je sois un compatriote, fraîchement débarqué aux États-Unis, nous rapproche immédiatement. Il s’apprête à se lancer au cœur d’un procès pour sorcellerie. Il est avocat de la défense et représente ainsi Melody Walker, accusée de sorcellerie et d’hérésie. Rendez-vous compte, on condamnait des personnes (bien souvent des femmes soupçonnées de sorcellerie sur la base de l’hérésie, c’est à dire d’idées, de théories ou pratiques qui heurtent les opinions communément admises.) Communément admises, bordel de Dieu. La jeune femme dont le patronyme n’a rien à voir avec le grand Cordell Walker – nous ne sommes pas au Texas – pourrait pourtant en être l’ascendante tant elle exprime force et dignité. Peut-être est-ce ça, la foi ? Se savoir condamné et ne jamais se laisser abattre ?
Bref. Heureusement que L. Azarii prend le temps, en introduction du livre, de nous expliciter le fonctionnement des colonies à cette période, leurs composantes et leurs intérêts. Quakers, Pèlerins, congrégationalistes, anglicans, catholiques et j’en passe…. Une bonne idée, car il s’agit d’un vrai bourbier où religion et politique vont inévitablement de pair. On n’a pas étudié les colonies américaines en cours d’histoire, j’ai eu l’impression de passer un rattrapage condensé. Merci pour ça.
– Sire Thomas Dutourd, qui de mieux qu’un Français en territoire ennemi pour défendre une hérétique en terre fanatique ?
– Risquons ensemble notre vie.
– Ne faites pas de promesse en l’air. Votre cou risque la corde autant que le mien.
Les faits reprochés à l’accusée se sont déroulés à Elkton ; une petite bourgade jusque-là plutôt paisible, à plus ou moins cinquante miles au nord-est de Baltimore. On ne sait pas trop de quoi vivent ses gens en dehors de la condescendance et des ragots. Il y a du bétail et des esclaves. Il y a une communauté indienne avec qui faire du troc, même si c’est interdit. C’est donc à Baltimore que se déroulera le procès, la principale ville du Maryland, où est d’ailleurs né l’hymne américain. J’ai convenu, ne connaissant personne en ville, que je logerai chez Thomas et son épouse Brigit. D’ailleurs, ils forment un drôle de couple. Bien plus moderne qu’il n’y parait. Je pourrais vous dire qu’il y a un étrange triangle qui se dessin, mais je ne détaillerai pas pour vous laisser le plaisir de le découvrir. Ayant démontré de l’intérêt pour cette sombre affaire, Thomas m’a invité sans détour à assister aux audiences. Huit journées d’audience vont ponctuer le procès avant, enfin, le verdict. Nous sommes donc en présence d’un huit clos de huit jours. Oui, je suis plutôt fier. Ça pourrait vite devenir longuet tout ça ? Non ? Non.
Même parmi les Saintes, il y a les femmes dociles et les fortes têtes. je voyais dans le procès qui s’approchait une nouvelle manière pour les hommes de briser l’échine à un pur-sang récalcitrant.
Car L. Azarii réalise un joli tour d’équilibriste en nous promenant entre Elkton, pour revenir sur les faits reprochés, et au procès de Baltimore, où il nous livre les audiences ainsi que les procès-verbaux dressés chaque jour. La narration se découpe naturellement entre Melody et ses réflexions nocturnes, guidées par la solitude emplissant sa cellule et Thomas durant et en dehors de l’audience. Cela pourrait vite devenir lassant sauf que, l’auteur parvient à faire valoir autant de narrateurs que de témoins entendus au procès. Et c’est pour moi ce qui permet vraiment d’investir le lecteur dans celui-ci. Au fond, je ne doute pas de l’innocence de Melody, qui aurait été jusqu’à forniquer avec le diable dans les bois d’Elkton. Ce que je veux savoir, c’est comment toute cette histoire s’est construite. Qui tire les ficelles et pourquoi ? C’est très retors et chaque accusateur semble avoir de bonnes raisons de vouloir faire condamner la jeune femme. Le mal ne se cache pas en Melody, mais en chaque homme et femme venant l’accabler. Des personnes qui ne s’assument pas, qui n’assument pas leurs actes, qui n’assument pas d’être éconduit par la jeune femme, voilà un menu des plus complaisants.
» Certains hommes deviennent fous quand ils voient le corps de leur épouse se transformer. »
Margaret parlait avec une sagesse tirée de ses propres expériences. Elle me conta le nombre de fois où elle avait vu un homme pécher alors qu’il allait devenir père.
Finalement, L. Azarii nous livre un roman où l’intrigue n’est pas de savoir si l’accusée est coupable ou non, mais plutôt de savoir si elle finira par flotter au bout d’une corde. C’est joliment tourné, non ? Je veux dire, c’est quand mieux que dire quelque chose comme… savoir si elle finira la langue bleue, le coup allongé et dégoulinante d’excréments. Je trouve, oui. N’empêche qu’en 1715, dans le Maryland, la loi est plutôt clémente puisqu’elle ne recourt plus au bûcher pour les hérétiques. Oui, c’est pourtant le titre de mon article. Ça sonnait bien, alors ne me l’enlevez pas !
Allons-y, voici le seul reproche que je ferai au bouquin : ne pas suffisamment mettre le doute au lecteur quant à la culpabilité de l’accusée. Moi; je voulais l’imaginer réelle cette fornication diabolique avec Satan au milieu des hêtres millénaires et des êtres maléfique, croire que Melody était capable de lancer des sorts faisant mourir les enfants en couche, mais le doute ne parvient pas s’installer et je pense que c’est un choix volontaire, car l’intrigue n’est pas vraiment ici.
Celle-ci quitte très souvent la salle d’audience et celui que l’on appelle « Le Français » cache, derrière son assurance, une personnalité complexe. Bien que se déroulant en 1715, le roman paraît très contemporain en mettant à nu des thématiques très actuelles : féminisme, orientation sexuelle, racisme et écrasement des classes laborieuses par les nantis. Ce procès est aussi celui d’une société patriarcale où le genre humain doit absolument être codifié et où l’individu doit n’être qu’une case bien délimitée. Malheureusement, et trois siècles après le procès de Melody, nombreux sont celles et ceux à ne plus vivre que pour le rapport à l’autre et irrémédiablement se définissent dans des cases, pour mieux pousser la différence dans une autre.
J’ai quand même réussi à traverser cet article sans jamais vous expliciter ce que signifie Pertinax mais en vous citant Louis de Funès… Bonne découverte !
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