Nouvelles sous ecstasy de Frédéric Beigbeder
Collection L’Infini, Gallimard

1999.
Mille neuf cent quatre vingt dix neuf.
Dernier quai. Terminus. Tout le monde descend du 20ème siècle.

Je suis beaucoup allé au ciné en 1999. Enfin, à l’époque, on s’échangeait surtout des sacs cabas Champion, à pois, débordant de DivX. « Difficile de battre un champion » entendait-on dans la supérette éponyme. Je ne vous ai jamais parlé de ma passion débordante pour les supermarchés ? Une autre fois. Cette année là, la Grande Boucle voyait le téméraire Richard Virenque s’offrir la tunique pour la cinquième fois. C’était le bon temps. Le Tour de France 1999 n’a plus, officiellement, de vainqueur.

Dans nos sacs à DivX, on se refilait Eyes Wide Shut, Fight Club, American Beauty ou encore Virgin Suicides. Tout ça en 1999 oui, pas besoin d’un Sixième sens pour se rendre compte que cette Ligne verte, toute tracée allait finalement mener à un cataclysme. Non, pas le bug de l’an 2000 mais une bascule dans la terreur. Terreur que traitera d’ailleurs avec un certain talent Frédéric Beigbeder avec Windows on the world (prix Interallié et Independent Foreign Fiction Prize, prix des fictions étrangères de l’Independent) qui raconte les derniers moments des clients du Windows on the World, restaurant au sommet de la tour nord entre 8 h 30 et 10 h 29.

En tout cas, en 1999, mille neuf cent quatre vingt dix neuf, côté littérature, nous ne sommes pas en reste. Amélie Nothomb voit son huitième roman, Stupeur et Tremblements, couronné du grand prix du roman de l’Académie française (ex æquo avec Anielka de François Taillandier). À ne pas confondre avec Nicolas, l’ancien attaquant tricolore. Pendant ce temps, Christine Angot s’accapare la chronique littéraire en bénéficiant d’une couverture élogieuse de L’Inceste par la presse. Bon et puis, année post-sacre mondial oblige, on se cogne Aimé Jacquet avec Ma vie pour une étoile (qui vend plus qu’Amélie Nothomb cette année là) et Zinedine Zidane, accompagné de Dan Franck pour Zidane, le roman d’une victoire. Comme quoi, il est tout à fait possible d’être nominé au Goncourt et de pondre des bouquins dignes de l’Almanach de Pierre Bellemare. Je parle de Dan Franck, Zinedine Zidane n’ayant pas – à ma connaissance – été en lice pour le prix littéraire.

Il tourne autour du pot. Comme tonton Henry, sur la plage du Cap d’Agde, tourne autour des matchs de beach volley féminins. Chaque année, dernière semaine de juillet et deux premières d’août. Sauf l’été 1999 justement, car tonton Henry s’était fracturé la clavicule en chutant de bicyclette. Oui, je tourne autour du pot. Tant pis, allons-y.

Dans les années 1980, une nouvelle drogue fit son apparition dans les milieux noctambules : le MDMA, dit « ecstasy ». Cette « pilule de l’amour » procurait d’étranges effets : bouffées de chaleur, envie de danser toute la nuit sur de la techno, besoin de caresser les gens, grincements de dents, déshydratation accélérée, angoisse existentielle, tentatives de suicide, demandes en mariage. C’était une drogue dure avec une montée et une descente, comme dans les montagnes russes ou les nouvelles de certains écrivains américains. L’auteur de ce livre n’en consomme plus et déconseille au lecteur d’essayer : non seulement l’ecstasy est illégal, mais en plus il abîme le cerveau, comme le prouve ce recueil de textes écrits sous son influence. Et puis, avons-nous besoin d’une pilule pour raconter notre vie à des inconnus ? Alors qu’il y a la littérature pour ça ?

14 nouvelles viennent noircir les 102 pages de cette édition Folio. Une moyenne donc, de 7 pages par nouvelles. C’est déjà beaucoup trop. Malheureusement beaucoup trop. Et pourtant, comme vous avez pu le lire précédemment, j’aime bien Frédéric Beigbeder. Attention, je vais manger du « boomer » par ci, boomer par là… Clairement, c’est la preuve de mon objectivité que je vous livre aujourd’hui. Les nouvelles ont été écrites entre 1990 et 1999. Une décennie et pourtant, aucune ne rattrape l’ensemble. Aucune progression. Ça n’a pas d’intérêt, ça manque d’esprit, ça manque de matière.

La jolie m’a embrassé sur la bouche en y tournant sa langue. La moche a posé sa main sur mes couilles avec une certaine délicatesse. La jolie a glissé la sienne dans ma chemise pour caresser mon torse glabre. La moche m’a fait bander. La jolie a tiré mes cheveux. La moche a roulé une pelle à la jolie. La moche était plus jolie que la jolie.

Une ou deux nouvelles semblent désespérément mimer Bukowski sans jamais en atteindre le haut de la chaussette. La première nouvelle est intéressante, un exercice où toutes les phrases sont à l’interrogative. Ça termine dans un aéroport d’ailleurs. Frédéric, tu nous promets un décollage pour la suite et finalement, je reste cloué au sol. Comme me le faisait remarquer un ami écrivain « C’est mal écrit… Sérieusement, qui écrit zizi tout dur dans un texte ? ». Oui, c’est plat, écrit à la va-vite.

La meilleure preuve que les célibataires sont affligeants, c’est que les femmes n’en veulent pas : elles préfèrent draguer le mari de leur meilleure amie. Personnellement, je vis avec quelqu’un parce que je suis faible. Je n’ai pas le courage de rester seul, ni celui de me remarier. Il existe une zone de flou artistique entre le célibat dépressif et le mariage ennuyeux : baptisons-la bonheur.

Je ne doute pas que l’auteur de ces nouvelles soit un spécialiste des petits bonbons colorés, mais c’est trop facile de « justifier » son texte par un état d’emprise, de s’abriter derrière le bouclier de la défonce. Le mieux à lire dans ce recueil reste la citation d’ouverture d’Alain-Fournier :

Fin de la nuit d’été : la jeune femme a renvoyé tous ses domestiques. Le jour va venir. Il ne reste plus qu’une grosse étoile fixe, tout contre la tour Eiffel ; et les bords de la nuit commencent à blanchir.

Ne perdez pas votre temps ici car, l’ecstasy n’excuse pas tout. Si vous avez envie d’un bon recueil de nouvelles, optez pour celui de Raphaël Haroche, prix Goncourt de la nouvelle pour Retourner à la mer en 2017.