Les enfants qui mentent n’iront pas au paradis – Nicolas Rey
Au Diable Vauvert, 2016
Les enfants qui mentent n’iront pas au paradis… un titre qui annonce déjà la couleur. Nicolas Rey se complaît dans ce qu’il fait de mieux : une dissection chirurgicale de la débâcle sentimentale, un roman qui siffle comme un dernier verre de whisky en bout de course. Cette fois, il nous lâche dans l’univers de Gabriel, un quarantenaire à la dérive, qui se balade dans sa propre vie comme un touriste paumé avec une gueule de bois monumentale. Quand il rencontre Catherine, institutrice aussi rigide que son engagement à l’extrême droite, Gabriel aurait dû fuir. Mais non, bien sûr, il fonce tête baissée. Parce qu’à ce stade, même l’idée d’une relation catastrophique est mieux que la solitude.
Catherine, c’est tout ce que Gabriel exècre et tout ce qui l’attire. Elle est autoritaire, glaciale, une amazone de la politique qui brandit ses convictions comme des menottes. Elle a cette force magnétique qui donne envie de la suivre tout en redoutant le prix à payer. Elle devient pour Gabriel une espèce de fascination toxique, un mélange de désir et d’angoisse, comme ces clopes qu’on fume en sachant qu’elles nous flingueront un jour.
Elle s’est rapprochée.
Elle a reniflé son cou, sa nuque et ses oreilles. Ses lèvres se sont placées à quelques millimètres des siennes. Elle a chuchoté: « Tu savais que la lubricité est l’invention d’un bourgeois très à droite. Les gens de gauche échangent tellement de théories qu’ils en oublient de baiser. »
Avec un sens aigu de l’autodestruction, Gabriel se laisse happer dans cette spirale absurde : soirées poker avec des fans d’extrême droite, joutes verbales où chaque mot devient un coup de poing, situations humiliantes qui feraient fuir n’importe quel homme sensé. Mais Gabriel n’est pas un homme sensé. Il est ce mec qui se complaît dans le chaos, qui se laisse modeler, déformer, jusqu’à se retrouver face à l’ultimatum final : aimer Catherine, c’est aussi accepter son univers politique. Il en perd sa dignité, il perd tout sauf ce qu’il n’a jamais eu : le contrôle.
Rey signe ici un roman corrosif, où l’amour se transforme en une guerre d’idéologies. Ce n’est plus seulement une romance, c’est un affrontement où chacun cherche à dominer l’autre. Rey maîtrise cet art d’écrire avec la précision d’un scalpel et la brutalité d’une claque. Ses chapitres sont courts et tranchants, comme autant de petites bombes laissées ici et là pour que le lecteur en ressente chaque explosion.
Catherine inculque à ses gosses la droiture, la laïcité, le nationalisme et l’amour de notre pays. Catherine est enseignante le jour, vendeuse de costumes et autres lingeries sympathiques la nuit. C’est une minorité à elle toute seule. Elle est inclassable. Ce qui ne signifie pas qu’on puisse la classer partout. Par exemple, elle désire que la carte Vitale ne profite qu’aux Français de souche mais elle sait défendre le droit à l’avortement. Elle est en faveur du mariage pour tous mais elle trouve hilarant de bêtises les discours de Mussolini. Catherine considère la sécurité comme la plus belle des libertés. Elle veut être libre de pouvoir faire n’importe quoi. Elle veut avoir la possibilité de marcher nue la nuit sur le boulevard Barbès.
On est dans une sorte de tragédie burlesque, un ballet de faux-semblants où chaque phrase mord comme le serpent. Gabriel se retrouve à genoux, non seulement face à Catherine, mais aussi face à ses propres faiblesses. La question que Rey pose est simple : jusqu’où peut-on aller pour se sentir vivant ? Peut-on vraiment se vendre, se renier, se perdre dans une autre personne ?
Les enfants qui mentent n’iront pas au paradis est une autopsie du désir moderne, où même l’amour devient un champ de bataille idéologique. Nicolas Rey nous livre ici un cocktail explosif de cynisme, d’humour noir et de désespoir, un roman pour ceux qui savent que la vie est un mensonge qu’on embellit, une tragédie masquée en comédie, un terrain de jeu où personne n’échappe au ridicule. Bref, un petit bijou de déchéance, où Rey démontre que même les plus beaux mensonges ne nous mèneront nulle part.