La Solitude des nombres premiers – Paolo Giordano
Éditions du Seuil

Je ne suis pas du tout un habitué de la littérature italienne. Encore une fois, j’ai suivi les bons conseils de ma dealeuse de livres et me voici débarqué au pays de Dante ! Malgré une très bonne lecture, j’ai hésité à rédiger un billet sur celle-ci. Tout simplement car j’en suis ressorti lessivé. Le temps de reprendre mes esprits, voici le résumé :

Les nombres premiers ne sont divisibles que par 1 et par eux-mêmes ; soupçonneux et solitaires, certains possèdent cependant un jumeau dont ils ne sont séparés que par un nombre pair. Mattia, jeune surdoué, passionné de mathématiques, en est persuadé : il compte parmi ces nombres, et Alice, dont il fait la connaissance au lycée, ne peut être que sa jumelle. Même passé douloureux, même solitude à la fois voulue et subie, même difficulté à réduire la distance qui les isole des autres. De l’adolescence à l’âge adulte, leurs existences ne cesseront de se croiser, de s’effleurer et de s’éloigner dans l’effort d’effacer les obstacles qui les séparent.

Alors pourquoi en suis-je sorti comme un calcif mal essoré ? Parce que c’est beau et infiniment triste. Que l’auteur nous malmène totalement d’un lieu à l’autre, d’un personnage à l’autre, d’une temporalité à l’autre, d’une solitude à l’autre. Oui, j’assume totalement cette répétition. Mattia, par contre, n’assume pas le fait que sa soeur jumelle soit en retard sur les autres enfants. Ses parents lui intiment de l’emmener à une fête avec lui mais, il a tellement honte qu’il décide d’abandonner Michela sur un banc, dans le parc du quartier. Il fait sa soirée, soulagé de ne plus être si mal accompagné. Il se souvient vaguement avoir une soeur, puis réagit alors que la nuit est définitivement tombée : Michela, il faut retourner la chercher. Il ne la retrouvera pas. Il ne la retrouvera jamais cette petite fille chétive.

Ses pensées étaient de plus en plus illogiques et de plus en plus circulaires. Lentement le soleil s’enfonça derrière le mont Chaberton comme si de rien n’était. L’ombre des montagnes s’étira sur Alice, et le brouillard noircit.

Quelques temps plus tard, nous rencontrons Alice ; une jeune fille à la santé fragile, en détresse alors que son père l’oblige à faire l’école de ski. Une énième crise de ventre l’éloigne du groupe afin qu’elle puisse se soulager alors que la brume s’épaissit. Elle se perd. Elle chute lourdement. Alice se brise le péroné ou plutôt la fibula, si vous me permettez, ça sonne un peu plus italien.

Le hasard ou le destin faisant bien les choses, Mattia et Alice se rencontrent dans leurs nouvelles vies. C’est un jeu d’amitié, d’amour, de sentiments inqualifiables qui se déroule sous les yeux impuissants du lecteur. Leurs solitudes se lient et se délient au fil du temps. Paolo Giordano – dont le texte est traduit par Nathalie Bauer – fait preuve d’une écriture simple, directe et percutante. L’auteur parvient même parfois à nous désarçonner avec quelques touches de cynisme savamment orchestrées.

Le retour à la réalité fut douloureux. Le corps étranger de Nadia reposait sur le sien. Le contact d’une part avec sa transpiration, de l’autre avec le tissu froissé du canapé et les vêtements écrasés l’oppressait. La jeune femme respirait lentement. Il songea que si le rapport entre les périodes de leurs respirations respectives consistait en un nombre irrationnel, il était impossible de les associer et d’y trouver la moindre régularité.

Il est des auteurs dont on sent la capacité à sublimer le quotidien, à sublimer les êtres dans tout ce qu’ils ont de plus profond. Je peux vous dire que le lauréat du prix Strega 2008 (pour ce tout premier roman) exploite sans complexe les noirceurs et douleurs de cette relation parfois à la limite de l’interdit, de l’amour incestueux.

Il essaya de se concentrer. Il était aussi nerveux qu’à un examen. Avec le temps, il s’était persuadé qu’il ne savait rien faire en dehors de son élément, des ensembles ordonnés et transfinis des mathématiques. En vieillissant, les individus acquéraient généralement de l’assurance ; lui, il en perdait, comme si la sienne constituait une réserve limitée.

Finalement, il me semble qu’Alice est restée enfouie dans la neige, prisonnière de la brume. Tandis que Mattia, n’a jamais quitté le parc où il avait délibérément laissé sa moitié.