Vu du ciel – Christine Angot
Éditions Gallimard
Vous avez certainement déjà croisé le regard sombre de Christine Angot. Si, souvenez-vous, un samedi soir où vous n’aviez rien de mieux à faire que de vous affaler devant la télé en fin de soirée ; le rire si horripilant de Laurent Ruquier venant vous arracher à l’attraction du marchand de sable. Et puis là, apparaît la chroniqueuse, raide comme un passe-lacet. Soudain, un sourire, ou devrais-je dire un rictus, se dessine enfin sur le visage placide et c’est parti, l’invité va perdre son air niais, ravaler son innocence feinte face aux propos parfois durs, mais finalement jamais tout à fait gratuits de la romancière (NDLR : il s’agit là de l’activité principale indiquée par Wikipédia).
À l’époque, je me suis dit qu’il serait intéressant de goûter à la prose de Christine Angot. Et puis les samedis suivants, j’ai dû enfin expérimenter les plaisirs d’une vie sociale plus riche et j’ai oublié les rires horripilants, le regard sombre et le rictus annonciateur de la sentence divine ou presque. Un soir d’hiver, semblable à tous les autres, je suis tombé nez à nez avec un petit bouquin dont le titre m’a pété aux yeux, Vu du ciel, et son auteure n’était autre que, je vous le donne en mille, Christine Angot. Je sais désormais qu’il s’agit de son premier ouvrage, publié en 1990.
» Les anges ne sont pas tout blancs. Nous n’avons pas le sens de la gravité des choses. Anciens traumatisés pris entre enfance et éternité, nous n’avons pas la sensibilité d’en bas. En général, nos vues, entre ciel et terre, indisposent les humains. Qui n’aiment pas nos livres. Beaucoup trop froids. Ils supportent mal notre humour. Alors, je destine ce livre aux anges et à Dieu et ne souhaite à aucun mortel de l’ouvrir accidentellement. » (4ème de couverture)
Et voilà, je fais office du mortel qui l’a ouvert totalement accidentellement. Excusez-moi, Christine. Pour vous résumer le bouquin sans trop de pincettes, le concept de base est assez fort : une enfant de 6 ans disparaît, son corps froid est retrouvé dans un coffret électrique de son immeuble. La petite fille, violée avant de s’éteindre, monte au ciel et devient un ange. Sa mission est de veiller sur une âme, elle devient l’ange gardien de Christine, 29 ans, qui a fait l’objet d’abus de la part d’un ami de sa mère durant sa jeunesse. Christine éprouve une addiction macabre à la petite Séverine et à l’horreur de son assassinat ; chaque jour, elle vient se confier sur sa tombe. C’est un double monologue qui vient ici se nouer. Deux souffrances finalement qui échangent dans un écho infini.
» Elle dit que la Picardie peut être torride. Mais cela personne ne le sait. Elle souffre de la chaleur à la campagne. Y boit du thé dans des tasses Esso. Lit Bret Easton Ellis, dit qu’il semble écrire au couteau. »
» S’ils interpellent celui a fait ça, on lui règle son compte sur-le-champ. » Les pères crient ça parce qu’ils sont capables de pas mal de saloperies, mais pas celle-là, non, ils savent s’arrêter. Il faut tuer ceux qui ne connaissent pas les limites. «
Rendez-vous compte ! Ce livre a été écrit il y a trente ans et n’a malheureusement pas pris une ride ! Certains ont accusé à l’époque son auteure d’une œuvre malsaine et dérangeante. Aujourd’hui, les héritiers de ceux là s’endorment en regardant des émissions criminelles où aucun détail macabre ne leur est épargné. Il est facile de s’offusquer, bien moins de reconnaître le caractère nécessaire de ce type de texte. Surtout qu’en 1990, il fallait oser briser le tabou autour de ces faits abjects.
» Tout nu il ne pouvait plus cacher sa grosse queue. Sauf peut-être dans un corps d’enfant. Il ne voyait pas d’autre solution. Il a profité que j’étais là. N’importe qui, à sa place, aurait fait pareil. »
» Elle, Christine, était presque consentante. Elle avait au moins douze ans. Entre violée par un dingue et abusée par un ami, il y a une différence, non ? «
Aujourd’hui, les titres putaclic – désolé ce néologisme est vraiment immonde – suffisent à faire vendre du papier et malheureusement des textes forts et précurseurs, à l’instar de celui-ci, commencent à prendre la poussière ou disparaissent, abandonnés au fond des boîtes à livres.
Vu du ciel dessine sous les traits d’un roman aux contours de fable, l’horreur « banalisée » pour ne pas dire « normalisée ». Ce livre est loin d’être évident à lire, parfois doux et parfois très cru et les deux se confondent même à certains endroits. L’écriture est erratique puisque, rappelons le, le narrateur n’a que six maigres années de vie au compteur. Pour ma part, je trouve cette narration très intelligente, très forte. Ce livre est court et tant mieux, car il soulève le cœur. C’est à la fois sinistre et beau, une lecture éprouvante et émouvante.
Merci Madame Angot.