Berceuse, Chuck Palahniuk (2002)
À retrouver chez Gallimard
Saviez-vous que la poésie pouvait tuer ? Un poème, un simple texte à la puissance inouïe, capable d’arracher la vie en un souffle. C’est dans cette danse macabre que nous invite Chuck Palahniuk avec son roman Berceuse, un hymne cauchemardesque qui résonne comme un cri d’effroi dans la nuit. La trame nous conduit dans un univers où une comptine ancestrale, héritage du peuple Zoulou, devient l’ultime sentence. Dissimulée au sein d’une banale anthologie pour enfants, cette berceuse d’un autre temps trouve des échos lugubres dans notre modernité désenchantée. Un trésor mortel récité innocemment par des générations de parents à leurs progénitures, semant le malheur sans que personne ne s’en doute.
« Les experts de la culture grecque antique disent que disent que les gens à l’époque ne voyaient pas leurs pensées comme leur appartenant en propre. Quand une pensée traversait l’esprit des Grecs de l’antiquité, ils y voyaient un ordre que leur donnait un dieu ou une déesse. Apollon leur disait d’être brave. Athena leur disait de tomber amoureux. Aujourd’hui, les gens entendent une publicité vantant des chips à la crème aigre et ils se précipitent pour les acheter, mais aujourd’hui, ils appellent ça le libre arbitre. Les Grecs de l’antiquité, eux au moins, se montraient honnêtes. »
Carl Streator, journaliste désabusé, se voit confier l’étrange tâche d’investiguer sur le mystérieux syndrome de mort subite du nourrisson. Le voilà plongé dans un monde où la menace ne vient pas d’une maladie, mais d’une mélodie funeste. Une mélodie qui lui rappelle douloureusement sa propre tragédie personnelle, où sa famille a été emportée par ce chant maudit. Aux côtés d’Helen Hoover Boyle, une agent immobilière spécialisée dans les maisons hantées, et de ses compagnons de route, Mona et Oyster, Carl Streator entreprend un voyage macabre à travers le pays pour éradiquer ce poème de la mort. Leur quête les mène à la recherche du grimoire d’où est tirée cette malédiction, offrant un pouvoir démesuré à quiconque le possède.
« Ce bon vieux Georges Orwell a tout compris à l’envers. Big Brother ne surveille pas. Il chante et il danse. Il sort des lapins d’un chapeau. Big Brother est tout entier occupé à attirer votre attention à chaque instant dès que vous êtes éveillé. Il fait en sorte que vous soyez toujours distrait. Il fait en sorte que vous soyez toujours absorbé. Il fait en sorte que votre imagination s’étiole. Jusqu’à ce qu’elle vous devienne aussi utile que votre appendice. »
Dans ce roman à l’humour noir mordant, Palahniuk nous livre une critique cinglante de notre société obsédée par les médias, mettant en lumière nos dépendances malsaines et nos désensibilisations croissantes à la violence qui nous entoure. Une invitation à méditer sur notre relation ambivalente avec un monde médiatique de plus en plus étouffant. Berceuse se révèle être bien plus qu’un simple thriller ; c’est un cri d’alarme face à nos excès, un réveil brutal à la réalité d’un monde hypnotisé par la puissance de la parole. Palahniuk orchestre cette danse macabre avec une maestria sombre, résonnant comme un écho dans nos âmes troublées. À lire, mais surtout à méditer, car la complainte de Berceuse ne risque pas de s’effacer de sitôt de nos mémoires tourmentées.