Une simple lettre d’amour – Yann Moix (2015)
Grasset


– Comment ça ? Tu lis Yann Moix maintenant ?
– Oui.
– Il ne manquait plus que ça.
– Comment ça ?
– Je ne sais pas, je le trouve arrogant.
– Tu le connais ?
– Non, à la télévision. Ça me suffit.
– Je ne regarde pas la télévision.
– Tu es d’un chiant.
– Certainement.
– C’est quoi le titre ?
– Une simple lettre d’amour.
– T’es con.
– Certainement.

Me voilà dégagé de toute obligation sociale et familiale suite aux fêtes de fin d’année. Premier janvier et gueule de bois obligent, je pars en quête d’un nouvel auteur à rencontrer. Tiens, mais pourquoi pas Yann Moix, depuis le temps que j’hésite et que je l’évite. Assez étrange que de ne pas oser ouvrir un livre d’un auteur dont on est persuadé d’y trouver une certaine forme de contentement. La peur du mécontentement certainement. Ma fille vient de terminer sa sieste, elle hurle. Je clique sur commander. Une simple lettre d’amour va donc arriver dans ma boite aux lettres noire. Même nuance colorimétrique que les menuiseries de la maison. C’était capital. C’est la première fois qu’elle va avoir la chance d’accueillir une lettre d’amour.

Une simple lettre d’amour. Pour toutes celles et ceux s’étant prêtés à l’exercice, ça ne l’est en aucun cas. C’est tellement personnel. La lettre en tant qu’objet émanant des divagations de l’être et la définition de l’amour qui varie selon chacun d’entre nous. En quatrième de couverture, une phrase pour illustrer le propos “Dès qu’une femme aime un homme, elle fabrique un infidèle” et une présentation laconique de l’auteur “Yann Moix est écrivain.” Et ça, clairement, ça me plaît. Soit ce type est totalement imbu de lui-même, soit c’est un génie. C’est certainement un pot-pourri des deux hypothèses. Le problème du pot-pourri, c’est que ça peut sentir bon à l’allumage – maman adore ces machins-là – et vite vous infliger un violent mal de crâne. Qu’en est-il ici ?

143 pages, c’est tout à fait louable pour une simple lettre d’amour. J’ouvre ça en soirée et dès le début des hostilités, j’accroche en découvrant vite qu’une lettre d’amour n’est pas forcément ce que l’on retrouve dans les correspondances de François Mitterand à Anne Pingeot. Bel ouvrage au demeurant pour celles et ceux qui en auraient assez de relire sans cesse celles de Victor Hugo à Juliette Drouet. Si c’est votre cam, je serai curieux d’avoir votre ressenti sur celle de Yann Moix. Cette lettre doit se lire en une seule fois, car au-delà d’une lettre, c’est une plaidoirie qui se dessine au fil des pages. Étonnant, cette plaidoirie n’a pas lieu dans le but d’obtenir quelconque prétention. Je découvre une plume acerbe, acide et parfois très égoïste. J’entends par là que l’auteur se fait souvent plaisir stylistiquement et n’hésite pas à manier les références antiques. Cela reste tout de même plutôt digeste puisque Yann Moix manie sa langue à la perfection, et ce, même en dehors de tout coït.

Je constate que tout ce que l’on jette, comme mots, après l’expres sion « l’amour c’est» fonctionne très bien ; tout y excelle et son contraire. « L’amour c’est » permet toutes les aberrations : la bêtise et l’intelligence s’y confondent, tout s’y abrutit. Tout le monde est Chamfort et Cioran quand il parle d’amour – c’est très pratique. Je suis un génie par conséquent. Dès que je changerai de sujet, ce génie cessera ; je pour rai retourner chanter sous la pluie, collectionner les voitures de sport, manger des chips, m’intéresser à du foot, me consacrer aux jeux vidéo. (page 19)

On voudrait bien s’adorer jusqu’à la tombe, mais des événements viennent défaire les vœux, déraciner les promesse, abîmer l’espérance. On achète, dans l’amour qui naît, un futur qui ne veut jamais exister. Impression atroce que le sommaire ment sans cesse, que les pages du livre se contredisent, que le chef-d’oeuvre est toujours empêché. (page 55)

Cette lettre n’a rien de simple, elle n’est que souffrance, déception et en vient à rejeter l’amour et les relations de couple telles qu’elles existent depuis des lustres. À tort ou à raison. Je ne vais pas me mouiller là-dessus, car ça va encore lancer des débats stériles en soirées avec ce qu’il me reste de copains. L’expéditeur de cette lettre ne se cache pas, ne s’épargne en aucun cas. Il ne se donne pas le beau rôle et enfonce des portes qu’il semble avoir ouvertes dans ses précédentes relations. C’est un cercle immuable, sans fin. La nouveauté réside dans la fraîcheur d’un corps à révéler, un corps à jouir.

La question sexuelle ne se posait pas ; elle n’était plus un problème. Nous avions dépassé, depuis longtemps, la possibilité de cette forma lité. C’était comme si tout entre nous avait déjà fait l’amour, nos corps exceptés. Pénétrations, fellations, sodomies, et autres festivités avaient lieu entre nous, en temps réel, par d’autres moyens, par des chemins étrangers au contact des chairs, par des clins d’oeil, des tintements de verre, des éclats de rire : une pornographie se déroulait bel et bien, mais selon d’autres modalités, installée sur une fréquence connue de nous seuls. Personne ne s’en doutait, mais face à face, debout, nous baisions comme des détraqués. Nous n’avions pas attendu le coït pour commencer à jouir. (page 109)

Tiens, le corps et son vieillissement semble être presque obsessionnel dans le raisonnement de l’auteur. L’obsession de l’après plus généralement : physique, intellectuelle et émotionnelle. Où est le présent ? Cela me fait penser au propos de Frédéric Beigbeder : “Les hommes sont toujours entre une ex et une future, car le présent ne les intéresse pas.”

De la même manière qu’un amour achevé nous enferme dans le passé, jusqu’à nous abrutir de mélancolie, un amour qui s’ébauche nous projette dans l’avenir, jusqu’à nous abrutir d’espoir. Nous quittons ce qui n’existe plus, et n’a peut-être finalement jamais existé, pour embrasser ce qui n’existe pas encore, et n’existera peut-être jamais. (page 125)

En attaquant le bouquin, j’ai rapidement eu une idée claire de son destinataire. Et finalement, au plus, j’avançais, au plus, j’avais le sentiment qu’il s’agissait d’une lettre à toutes les femmes que l’auteur a aimées avant ou plutôt (pour reprendre le poète) “À toutes les filles qu’il a aimées avant ”, car il ne s’en cache pas : il aime les femmes jeunes. Qui à son contact semblent basculer dans un vieillissement prématuré. Lorsqu’il baise ses femmes, il devient l’exact contre-pied d’une fontaine de jouvence.

Une lettre ça se mérite. Une lettre d’amour, encore plus. Personne ne semble la mériter aux yeux de l’auteur. À part peut-être lui-même. En reconnaissant des aspects sombres, il dessine les contours d’un personnage dont il prend plaisir à justifier actes et comportements. Finalement, le bouquin aurait aussi bien pu s’appeler “Lettre à la suivante” mais cela paraît moins simple puisque celle-ci appartient déjà au passé.